Mémoire présenté au Comité HUMA par Wayne Hanley concernant le Projet de loi C-257 (travailleurs de remplacement)
L'utilisation de travailleurs de remplacement pendant une grève ou un lockout constitue par nature un acte violent destiné à détruire les droits fondamentaux de la personne de négocier dans le cadre d'une convention collective et de bonne foi.
L'autorisation de recourir à des briseurs de grève crée un déséquilibre en termes de pouvoir de négociation qui encourage ainsi expressément certains employeurs à infliger volontairement un traumatisme aux employés, à leurs familles et à la collectivité environnante dans le but d'en venir à un règlement unilatéral.
En ma qualité de directeur canadien de TUAC Canada, ainsi que de président de la section locale 175 de TUAC Canada, le plus grand syndicat local du secteur privé en Amérique du Nord comptant plus de 50 000 membres, j'ai personnellement été témoin à de trop nombreuses occasions de préjudices, de blessures, de conflits et d'angoisse infligés à nos membres suite à l'utilisation de jaunes au cours d'une grève ou d'un lockout.
Les employeurs vous diront que le recours aux jaunes n'est qu'un outil de négociation parmi d'autres, mais la réalité est que les employeurs qui ont recours au brisage de grève ne sont pas intéressés par la négociation.
En fait, le plan consistant à utiliser des travailleurs de remplacement commence d'ordinaire des mois avant que les négociations collectives ne débutent. C'est une stratégie à un seul vainqueur qui corrompt le processus de négociation dès son tout début. Pendant des mois, les employeurs négocient pour les apparences tout en se préparant à utiliser des travailleurs de remplacement pour contraindre leurs propres employés à accepter un règlement unilatéral.
Le scénario est presque toujours le même : dès le début des négociations, l'employeur fait savoir de façon plus ou moins subtile qu'il est prêt à utiliser des jaunes s'il n'obtient pas les modalités de règlement qu'il a prévu d'obtenir.
Vous avez déjà entendu parler cette semaine du coût financier et de la perturbation du marché du travail occasionnés par l'utilisation de travailleurs de remplacement, je ne répéterai donc pas ces données.
À la place, ce que je crois qu'il faut ajouter à l'équation est le coût humain : l'humiliation, la peur et les blessures, voire les décès causés par l'utilisation de la stratégie des jaunes.
Ce fut certainement le cas à Brooks (Alberta) à l'automne 2005. L'endroit en question était Lakeside Packers, appartenant à l'entreprise américaine Tyson Foods.
Au cours de la grève que l'employeur a pour l'essentiel provoquée, deux hommes ont été tués, un certain nombre d'autres employés ont été blessés, le président de la section locale 401 de TUAC a failli être tué lorsque son véhicule a été poussé hors de la route par des représentants de la direction, et la colère et l'humiliation causées par l'utilisation de jaunes ont créé une amertume au sein de la collectivité qui, dans une certaine mesure, subsiste encore aujourd'hui.
Rien de tout cela n'aurait dû se produire et ne se serait pas produit si l'utilisation des travailleurs de remplacement avait été interdite.
Mais tout cela est arrivé parce que l'employeur savait que s'il n'obtenait pas le contrat qu'il exigeait, il pouvait en toute légalité humilier et intimider ses employés en laissant d'autres employés prendre leur travail.
Tyson avait auparavant utilisé cette tactique maintes fois aux États-Unis. La société avait une bonne expérience en matière de planification et de mise à exécution de la stratégie « diviser pour régner » contre ses propres employés qui, à Lakeside, avaient lutté pendant dix ans pour la création d'un syndicat, et qui négociaient enfin leur première convention collective.
Après avoir négocié pendant presque un an, l'entreprise a fait une offre finale qui reconnaissait le syndicat mais qui n'offrait à ses membres aucune hausse salariale sur les cinq ans de durée du contrat, ni aucune disposition sur l'ancienneté et en revanche, une procédure de règlement de griefs vide.
Ce n'était pas réellement une offre mais un ultimatum.
Entre-temps, au cours de cette même année, Tyson se livrait à une campagne intensive dans toute la province d'Alberta (Canada) et à l'étranger afin de recruter des candidats potentiels. De plus, une pétition prônant la révocation de l'accréditation syndicale avait commencé de circuler dans l'usine, l'entreprise en étant informée.
De nombreux employés de Lakeside étaient des réfugiés de guerre de l'Afrique subsaharienne qui avaient été traumatisés par la violence et avaient fui au Canada pour y échapper. Tyson savait que la possibilité d'une confrontation occasionnée par le brisage de la grève pouvait sérieusement traumatiser ces employés. La direction misait sur le fait que la peur allait convaincre ses employés d'accepter l'offre et de s'opposer au déclenchement de la grève.
Ils se sont trompés. Plus de 70 % des employés ont voté en faveur de la grève mais le jour prévu de début de la grève, la province d'Alberta a interdit celle-ci en vertu d'une loi obscure, et elle a porté le litige devant un conciliateur qui n'a pu qu'émettre des recommandations à caractère non obligatoire.
Deux mois plus tard, lorsque le règlement à l'amiable lui a été communiqué, le syndicat a accepté les recommandations. L'entreprise ne les a pas acceptées. La grève a commencé une semaine plus tard, le 12 octobre 2005.
L'entreprise était convaincue qu'elle pouvait briser la grève et le syndicat en ayant recours aux jaunes. Des travailleurs de remplacement ont été amenés par autobus partout en Alberta. On a offert aux employés désireux de franchir la ligne de piquetage une paie correspondant à un quart de travail complet, même si l'usine ne fonctionnait qu'à la moitié de sa capacité. Tyson a commencé la construction de douze nouvelles routes pour accéder à l'usine et pour contrecarrer l'action des piqueteurs et réduire leurs effectifs.
Mais les lignes de piquetage ont été maintenues, étouffant de ce fait la production de l'usine. Après 24 jours, l'entreprise a finalement consenti à revenir à la table des négociations pour préparer un contrat qui a été ratifié.
Les employés ont obtenus leur contrat mais l'impact sur eux et sur la collectivité de Brooks a été énorme.
Certains travailleurs de remplacement ont franchi la ligne de piquetage occupée par leurs propres voisins et l'amertume demeure jusqu'à ce jour.
Les divisions raciales ont fait leur apparition. De nombreux grévistes ainsi que leurs familles ont quitté la ville et ne sont jamais revenus.
Actuellement, Lakeside fonctionne avec une maind'oeuvre moins importante qu'avant la grève car sa réputation d'employeur tyrannique a été largement répandue grâce aux communications des médias pendant la grève. Mais rien de tout cela n'avait à se produire.
S'il avait été interdit d'avoir recours aux travailleurs de remplacement, Tyson aurait probablement négocié le même contrat en toute bonne foi un an avant que la grève ne se produise.
La morale est que la possibilité de recourir aux travailleurs de remplacement permet la négociation de mauvaise foi. Les syndicats feront tout ce qui est en leur pouvoir afin d'éviter les grèves en raison des difficultés que subissent leurs propres membres et des ressources financières limitées dont ils disposent par rapport à l'employeur.
Pour les syndicats, la grève constitue le dernier recours absolu mais pour certains employeurs qui peuvent faire appel aux travailleurs de remplacement, une grève ou un lockout correspond exactement à ce qu'ils désirent et à ce qu'ils recherchent.
L'utilisation des travailleurs de remplacement au cours d'une grève ou d'un lockout constitue sans aucun doute un acte violent par nature, destiné à détruire les droits fondamentaux de la personne de négocier collectivement et en toute bonne foi et doit être comme tel interdite.
Je vous remercie, chers membres du comité permanent, de cette occasion de vous offrir cette présentation et j'apprécie que vous acceptiez ce mémoire en guise et lieu de ma présence
Recommandations :
> L'utilisation de travailleurs de remplacement pendant les grèves ou les lockout devrait être interdite dans tous les lieux de travail qui relèvent de la compétence fédérale.
> Le Comité permanent des ressources humaines, du développement social et de la condition des personnes handicapées (HUMA) doit confirmer les principes du Projet de loi C-257, Loi modifiant le Code canadien du travail (travailleurs de remplacement).
> La Chambre des Communes devrait fixer sans retard la date de l'approbation en troisième lecture.
Fin du mémoire de :
Wayne E. Hanley, directeur canadien de TUAC Canada