Quelle sera la prochaine tactique?
Wal-Mart se sert du système judiciaire canadien pour miner les droits des travailleurs.
Les Canadiens et Canadiennes devraient prendre note de la situation à Weyburn, en Saskatchewan, car elle démontre que nos tribunaux ne sont qu’un autre instrument dans la boîte à outils de Wal-Mart pour écarter les syndicats.
Le 19 avril 2004, les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada (TUAC Canada) ont déposé une requête en accréditation visant le magasin Wal-Mart à Weyburn (Sask.) après quoi les auditions de la demande ont commencé.
Selon la Commission des relations de travail de la Saskatchewan (CRTS), 90 % de tous les cas sont tranchés dans les dix jours suivant la date de la dernière audition.
La dernière audition de la requête relative à l’établissement Wal-Mart de Weyburn a eu lieu en décembre 2005.
Pourtant, trois ans après le dépôt de la requête initiale, les employés de Wal-Mart à Weyburn se savent toujours pas s’ils pourront ou non négocier collectivement car Wal-Mart semble observer un ensemble de règles différentes.
« Justice retardée, justice refusée » semble être le modus operandi de Wal-Mart puisque la compagnie a commis maintes infractions au système judiciaire canadien et aux commissions des relations de travail en vue de frustrer les démarches de syndicalisation dans ses magasins.
Dès le début des séances concernant l’établissement de Weyburn, Wal-Mart a démontré son mépris envers la CRTS – une institution provinciale qui gouverne le processus de relations du travail dans notre pays depuis des décennies – en prétendant que la Commission n’avait pas l’autorité de demander un document interne intitulé, Trousse d’information pour demeurer non syndiqué à l’intention du personnel de gérance.Quand la Commission a naturellement insisté à voir le document, Wal-Mart a dérouté les parties concernées au moyen de démarches juridiques qui se sont rendues jusqu’en Cour suprême du Canada. Celle-ci a refusé d’entendre l’argument de Wal-Mart. La compagnie a donc été obligée de retourner à la CRTS (après un retard de six mois), et elle prétend maintenant qu’aucun tel document n’a jamais existé dans les bureaux de Wal-Mart Canada.
Bien que ces agissements soient impudents, le degré réel de l’audace de Wal-Mart s’est révélé lorsqu’elle s’est adressée à la Cour suprême sous prétexte que la Loi sur les relations du travail de la Saskatchewan portait atteinte à ses droits en vertu de la Charte. Plus particulièrement, le détaillant originaire de l’Arkansas soutenait que la Loi enfreignait sa liberté d’expression.
La compagnie a insisté qu’un employeur devrait avoir le droit de communiquer sans entraves avec ses employés – ce commentaire venant d’une compagnie qui insérait des notes dans les enveloppes de paye de ses employés canadiens, y compris des communiqués de presse concernant la fermeture de son magasin de Jonquière (Qué.) peu de temps après qu’il fut syndiqué.
Quant à la campagne de syndicalisation au magasin de Weyburn, en juillet 2006, lorsqu’il semblait que les employés de cet établissement auraient enfin une réponse définitive, Wal-Mart a lancé une autre démarche de neutralisation visant la Commission – cette fois-ci alléguant que la Commission ne pouvait pas rendre un jugement objectif parce qu’elle était biaisée.
Alors Wal-Mart s’est tournée à nouveau vers les tribunaux pour y faire traîner ses plaintes à travers l’hiérarchie judiciaire. D’abord ce fut devant la Cour du Banc de la Reine où les allégations de Wal-Mart furent rejetées comme étant « imaginaires », ensuite devant la Cour d’appel de la Saskatchewan, et finalement devant la Cour suprême du Canada qui a refusé le 19 avril 2007 d’entendre la récente demande d’appel de Wal-Mart.
L’exploitation des tribunaux par Wal-Mart ne se limite pas à la Saskatchewan. L’entreprise de Bentonville s’est livrée à des tactiques semblables en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec. À Gatineau, Wal-Mart se dispute avec le syndicat et la Commission des relations du travail du Québec depuis plus de deux ans.
Quand vous êtes la plus importante corporation au monde, des honoraires légaux onéreux ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan. En fait, Wal-Mart affiche un bénéfice net de trois millions de dollars l’heure, chaque jour de la semaine durant l’année. Vue d’une autre perspective, ses revenus d’une heure suffisent pour défrayer 12 000 heures de services juridiques par semaine. Par conséquent, des entreprises comme Wal-Mart n’hésitent pas à embourber les tribunaux pendant des mois tout en faisant perdre le temps des juges et en gaspillant l’argent des contribuables.
Cependant, les coûts pour les Canadiens sont beaucoup plus élevés. En abusant du processus judiciaire de notre pays, Wal-Mart affaiblit les droits de nos travailleurs et travailleuses. Wal-Mart sait très bien ce qui se produit quand les travailleurs doivent attendre cinq, six ou dix ans pour savoir s’ils peuvent former un syndicat : ils se découragent. Ils s’en vont ou, comme on peut le comprendre, ils deviennent désenchantés du processus - ce qui finit par éroder la solidarité.
Fondamentalement, la création d’une société équitable exige que les travailleurs jouissent du droit d’association et de négociation collective. À mon avis, c’est le meilleur moyen de contrôler le capitalisme déchaîné et la façon la plus certaine de s’assurer que l’écart entre les riches et les pauvres ne devienne pas un gouffre sans fond.
À un moment où les emplois dans le secteur des services deviennent une réalité pour de plus en plus de Canadiens, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser les Wal-Marts du monde faire ce qu’ils veulent de nos institutions et, ultimement, tourner nos droits en illusions.