En plus de travailler durement, des travailleurs migrants dans les fermes canadiennes doivent lutter pour se syndiquer
En plus de travailler durement, des travailleurs migrants dans les fermes canadiennes doivent lutter pour se syndiquer
MONTRÉAL (PC) – Un flux constant de travailleurs saisonniers, embauchés dans des fermes du pays comme main-d’oeuvre à bon marché, font face à une forte résistance lorsqu’ils tentent de se syndiquer. Les employés de trois fermes de la grande région de Montréal attendent impatiemment la décision de la Commission des relations du travail concernant leur campagne de syndicalisation respective, décision qui pourrait être déterminante dans l’exercice des droits des travailleurs agricoles saisonniers au Canada.
« Les travailleurs en ont assez d’être maltraités », de dire Patricia Perez, fondatrice d’un groupe de soutien aux travailleurs migrants financé par la branche québécoise des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce.
Plus tôt cet été, la commission des relations de travail du Manitoba a rendu une décision marquante permettant à un groupe de travailleurs agricoles mexicains à Portage la Prairie, bien que celle-ci fasse l’objet d’un appel. Au Québec, la décision a été reportée à plusieurs reprises depuis le dépôt de la requête en accréditation en 2006. Entre-temps, les médias ont rapporté bon nombre d’incidents opposant des exploitants agricoles et leurs employés venus de l’étranger.
Dans un cas, un fermier aurait refusé de remettre ses documents d’assurance-maladie à un travailleur blessé et la police a été appelée à intervenir. Dans un autre incident, deux agriculteurs sont accusés de voies de fait à la suite d’un affrontement avec Mme Pérez à l’aéroport de Montréal l’automne dernier.
« Il y a des normes de travail établies qui ne sont pas appliquées et ne sont pas respectées », affirme Mme Pérez. « Mais pour les travailleurs, le plus important est d’être respectés comme être humains. »
Cependant, le dirigeant d’une association de producteurs horticoles au Québec soutient que si les conditions de travail étaient si mauvaises, il n’y aurait pas autant de travailleurs prêts à revenir année après année.
« Chaque année, de 75 à 80 % des travailleurs migrants reviennent sur les mêmes fermes », selon René Mantha, à la tête de la Fondation des entreprises en recrutement de main-d'oeuvre étrangère. « Même sur les fermes où il y a eu des campagnes de syndicalisation, les mêmes travailleurs sont revenus. »
Plusieurs des travailleurs migrants sont recrutés par l’intermédiaire du Programme des travailleurs agricoles saisonniers, un accord conclu il y a 34 ans avec le Mexique et les Caraïbes, qui fournit des visas saisonniers à plus de 18 000 travailleurs. Ces travailleurs ont accès à des soins de santé et d’autres avantages sociaux, et sont souvent logés par les fermiers. Les travailleurs migrants au Québec, comme dans le reste du pays, travaillent souvent de 12 à 15 heures par jour et ont très peu, s’ils en ont, de congés. Au Québec, les ouvriers agricoles gagnent environ 8,50 $ l’heure et ne reçoivent pas de majoration pour heures supplémentaires.
Jenna Hennebry, professeure en communication à l’université Wilfrid Laurier ayant effectué des recherches approfondies sur les travailleurs agricoles migrants au Canada, estime que le programme répond très efficacement à la pénurie de main-d’œuvre dans les exploitations agricoles canadiennes. Cependant elle ajoute que le programme, qui donne aux fermiers le droit de décider lesquels des travailleurs reviendront, laisse les migrants à la merci des employeurs.
« Il est clair que ces travailleurs n’ont pas de défenseur », commente Hennebry. « Ils veulent être protégés, ils veulent avoir des droits et ils veulent une journée de congé. Ils veulent être traités comme les travailleurs canadiens. »
Mantha tente de dédramatiser la situation en décrivant le programme comme un modèle qui offre des possibilités d’emploi à des travailleurs provenant de pays en développement.
« Leurs revendications (d’accréditation syndicale) ne sont pas la fin du monde », dit-il. « Nous sommes persuadés que les travailleurs se prononceront contre. Ils sont très satisfaits. » Selon lui, le manque de main-d’œuvre est si grave que son groupe exerce des pressions auprès du gouvernement afin d’élargir le programme à d’autres pays des Caraïbes et même de l’Asie.
Pérez riposte que la diversification de la main-d’oeuvre est simplement une tactique visant à affaiblir leur campagne de syndicalisation.
« Ils veulent précariser les emplois », dit-elle. « Ils vont essayer de casser le mouvement syndical, mais les travailleurs sont solidaires les uns envers les autres peu importe leur nationalité. »
Pour sa part, Hennebry croit que l’implantation de syndicats dans divers établissements agricoles ici et là au Canada n’est en bout de ligne qu’une demi-mesure pour améliorer les conditions de travail.
« Ça ne va pas nécessairement résulter aussitôt en une meilleure situation pour les travailleurs », croit-elle. « La solution doit provenir plutôt d’une approche à l’échelle du pays. » Une partie de cette approche, souligne-t-elle, est de reconnaître qu’une main-d’œuvre mobile est une réalité de la mondialisation qui ne peut pas être prise à la légère. « Bien qu’ils soient temporaires, ils sont ici en permanence. »